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Les khettara du Maroc et du monde ressuscitées à Arfoud

En pompe, dans cet hôtel chic de Maadid, mais discrètement et loin de tout tapage médiatique, une pléiade de chercheurs marocains et étrangers s'est réunie en colloque d'experts à Arfoud du 23 au 25 Septembre 2004 pour débattre de l'élément qui fera les guerres de demain comme disait Feu Hassan II, l'eau. Ce n'est pas l'eau dans sa transcendance, mais l'eau des khettaras et les systèmes traditionnels de captage et d'irrigation, l'eau culturelle.

C'est vrai que la question a été abordée parfois au Maroc ici et là, mais dans des conjonctures spécifiques, sans pérennité certes. La singularité de cette rencontre scientifique cette fois-ci réside dans la qualité des chercheurs ayant pris part et surtout dans le cadre qui en était l'initiateur.

Ici et en cette occasion, est concrétisé un projet d'étude, de revalorisation et de mise en marche des Khettara de Tafilalt, grâce à une initiative associative menée par des universitaires et d'autres chercheurs. Ceci viendra évidemment s'ajouter aux travaux entamés il n'y a pas longtemps par l'Office de Tafilalt ORMVA-Tf.

En présence et supervision d'une représentante de la Direction des Recherches auprès la Commission Européenne, les systèmes traditionnels de captage et d'irrigation dans le monde furent largement étalés par des chercheurs de talon venu du Japon, d'Italie, des Pays-Bas, de Tunisie, d'Algérie et du Maroc. Monsieur le Gouverneur n'a pas manqué de venir faire signe de soutien à cette initiative louable.

De la Perse, à la Chine, à l'Italie, à l'Amazonie, au Moyen Orient, au Maghreb, à l'Espagne, ce système qui se formalisa en khettara est une technique universelle que des chercheurs s'amusent à attribuer à une ou deux nations. Il est certes communément admis que les khettara sont nées en Perse antique, il y a plus de trois mille (3000) ans. Mais ce qui n'est pas sûr, à mon avis, c'est le transfert du savoir. Moi, je suis de l'avis de Claude Lévi-Strauss qui avait conclu, en étant frappé par la similitude du même conte chez plusieurs peuples "primitifs" sans relation aucune, que les mêmes conditions engendrent les mêmes faits. Ceci s'applique à mon sens aux khettara, à l'architecture de terre, à la construction des pyramides et autres techniques et modes de vivre, de s'habiller, de cuisiner, etc. Cependant, des influences comme le transfert pourraient avoir existés, sauf que ce sont les recherches archéologiques, historiques et ethnologiques qui pourront nous le confirmer ; or ces recherches ne sont pas encore bien établies en la matière.

En revanche, bien que les recherches sur les khettara ne soient pas encore très développées dans tous les pays concernés, notre colloque a jeté beaucoup de lumière sur le sujet. Le constat, c'est l'universalité du système. Qu'il s'agit de Tafilalt et du Haouz, de Touat, de M'zab, de l'Espagne, des villages du Sultana d'Oman et ceux de Syrie, de Chine et du Japon, de l'Amazonie ou du petit village de Matera au Sud de l'Italie, le système de captage, de drainage et de partage frappe par ses similitudes.

Une khettara, et ce qui lui ressemble dans d'autres pays, est –pour ceux qui ne le savent pas- une conduite d'eau souterraine pour l'irrigation mais qui sert aussi pour source d'eau potable. En effet, à un point de la descente, un puit peut servir pour tirer de l'eau pour les humains.

La conduite souterraine est accompagnée sur le sol par un certain nombre de puits qui jouent le rôle d'aération et de point d'épuration et dont le nombre et la distance les séparant varient d'une khettara à une autre et d'un pays à l'autre. Une khettara peut elle aussi être à étages.

L'eau drainée de l'amont va sortir plus loin, à une dizaine de mètres ou à quelques kilomètres même, pour irriguer les champs agricoles. La répartition, en seguia chez nous, est bien évidemment soumise au règlement de tour (nouba) que l'on connaît bien dans notre système d'irrigation traditionnel et que l'on retrouve dans la broderie berbère. Une khettara est plus qu'un système technique, c'est évidemment un patrimoine, une culture au sens anthropologique.

La Khettara au Maroc, en Syrie et Jordanie, ou la Foggara en Algérie, ou le Falaj en Sultanat d'Oman, ou la Mina en Espagne, ce sont là des noms pour désigner la même chose avec le même principe de fonctionnement, de gestion et d'entretien. Oui, une Khettara est comme un enfant qu'il faut toujours entretenir pour bien grandir, et correctement. L'entretien de la khettara est un travail de grande haleine, comme aussi la recherche d'assurer son débit et de la multiplication de son alimentation. Cela se fait soit en prolongement à l'amont, soit en système d'étage (s), soit en creusant sur les côtés en sorte de branches ou affluents de fleuves. La restauration aussi pose des problèmes et engendre des théories parfois divergentes comme en matière de restauration des monuments historiques.

Les Khettaras au Tafilalt qui feraient en somme plus de 290 km de long et avec un débit moyen de 6,5 litres par seconde, produisent plus que le barrage Hassan Addakhil. En fait, en 2002 ce dernier a produit 25 millions de m³ au moment où les khettara de Tafilalt avaient produit 36Mm³. C'est dire à quel point ce potentiel naturel et culturel est important mais qui est en situation très difficile, voire de disparition, pas uniquement à cause de la sécheresse. C'est dire aussi à quel point le budget investi par le gouvernement dans la lutte contre la sécheresse est mal orienté à l'origine. Dans des régions comme celle de Tafilalt, du Draa, de Figuig et autres, c'est le rétablissement des systèmes traditionnels d'alimentation en eau et l'encouragement des paysans et associations qui oeuvrent dans ce sens qu'il fallait et qu'il faut dorénavant soutenir. Avec l'abandon du système traditionnel pareil, la sécheresse a gagné l'Amazonie. Au Maroc, avons-nous besoin de plus de sécheresse pour repenser notre politique aquifère ?

Au Tafilalt, que ce soit à Hassi Lebied (Merzouga), à Tinjdad, à Alnif ou au Jorf, la société civile bouge, s'organise et cherche, étrangement les fonds à l'étranger, pour préserver ce patrimoine et le revaloriser. Les résultats en parlent. Le travail gigantesque, en l'occurrence, que l'Association de Lutte contre la Désertification du Jorf réalise a donné de bons résultats en matière de sauvegarde, de remise en état des khettara et même de fixation de la population, voire de lutte contre l'ensablement. Mais en l'absence d'un soutien clair de l'Etat, la rétrogradation ressurgi à nouveau de temps à autres et remet le tissu associatif et la population devant le cauchemar quotidien habituel et général.

 

Semons un peu de gaieté. Une visite s'impose. Les congressistes ont eu l'occasion de voir in situ le système ingénieux des khettara de Tafilalt dans la commune du Jorf et les efforts déployés par l'association locale. Et pour ne pas en rester là, l'équipe est venue admirer l'histoire glorieuse de la ville de Sijilmassa sur le terrain et à travers le petit musée du Centre d'Etudes et de Recherches 'Alaouites à Rissani, tout agrémenté de données historiques et archéologiques et d'un débat fructueux. Bonne pause culturelle à l'image de ce philosophe qui pour se reposer de ses méditations philosophiques passait aux mathématiques.

Chapeau Messieurs et Dames Jaafari, Riveill, Kobori, Laureano et les autres initiateurs et chercheurs.

Par : Aboulkacem CHEBRI, archéologue, RISSANI

E-mail : marocarcheo@yahoo.fr

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