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Rissani : le sourire malgré la sécheresse



En dépit d’une nature inhospitalière, ajoutée à de longues années de sécheresse ravageuse et au manque effroyable d’infrastructures, la population de Rissani continue de s’accrocher remarquablement à ses racines. Voyage au cœur d’une ville enclavée.


«Ici, la pluie, c’est la poussière». Ce témoignage, décliné par M. Lahmar sur un ton ironique, un employé de la «moqataâ» de Rissani, résume parfaitement le drame d’une ville livrée en pâture à une longue sécheresse. La recherche de l’eau dans cette ville de Moulay Ali Chrif relève du formidable parcours du combattant. «Il faut creuser jusqu’à 250 mètres en profondeur pour trouver ici une goutte d’eau», certifie Mohamed Kassi, président de la commune rurale de Rissani.
Encore faut-il avoir les moyens de cette «ambition» pourtant vitale aux 5300 «âmes» qui survivent dans des endroits éloignés sur une superficie de 4450 mètres carrés que compte cette commune. «Nous sommes au mois d’avril, mais nous n’avons encore rien reçu, sinon les salaires d’une vingtaine d’employés de la commune », se plaint-il, le regard blême. A l’image d’une terre qui s’est découverte, depuis quelques années, l’aspect affreux d’un linceul qui s’étend à perte de vue. Du douar «N’mara» à celui de «Sidi Ahmed Belmadani», en passant par celui de «Tafroukht», les champs semblent avoir perdu la notion du temps. Mercredi 26 avril 2006, un jour du printemps, pas une seule trace de verdure.
A part ces magnifiques palmiers qui continuent de «narguer» la loi implacable de la sécheresse. Et ses effets désastreux sur une population qui semble avoir tout perdu. Aziz, un faux guide, continue pourtant de se suspendre à un espoir : pourvoir traverser un jour à l’autre bout de l’Atlantique pour joindre «Jimenez», une jeune Mexicaine, avec qui il ne cesse de «tchatcher» via Internet. A la sortie du Mausolée Moulay Ali Chrif, assis sur le perron de sa maison natale, il n’hésite pas à nous aborder, sourire aux lèvres, mais le regard perdu, pour nous demander s’il peut nous accompagner à Merzouga.
C’est là-bas, au milieu des dizaines de touristes venus des quatre coins du monde apprécier le spectacle imposant du coucher de soleil, qu’il a l’habitude de se livrer à cet inlassable exercice de la «tchatche». Fils d’un ancien soldat ayant servi dans une région frontalière avec l’Algérie, située à 60 kilomètres de Merzouga, il cherche, infatigablement, à sauver sa famille déshéritée (notre père nourrissait sept bouches avec un salaire de 1300 dirhams, dit-il), mais aussi et surtout la sienne. «Ici, les horizons sont bouchés. Autant fuir», a-t-il lâché, d’un ton insistant, comme s’il voulait forcer la «main» du destin. Mais cette envolée, que Mohamed, propriétaire d’une auberge à Merzouga, veut mettre sur le compte d’une «incartade juvénile», n’est pas partagée par la plupart des «Rissanis». Témoin, le «khlifa» de Rissani qui veut signaler, le ton admiratif, «cet attachement indéfectible de la population à sa terre natale, quand bien même elle vivrait sous le seuil de la pauvreté», reconnaît-il.
Dans cette zone, située à 79 kilomètres d’Errachidia, règne un sentiment de solidarité exemplaire. L’administration, aussi bien que les administrés, font preuve d’une complicité inédite. Interpellé sur la question de l’insécurité, M. Kassi avait la réponse sur le bout des lèvres : «Nous sommes tous des policiers». «Depuis que j’ai pris mes fonctions à la tête de la commune rurale de Rissani, je n’ai jamais enregistré un seul cas de vol», se félicite-t-il. «Fils d’un terrien, j’ai été élevé dans le respect des valeurs de partage.
Mon père, propriétaire de plusieurs palmiers dattiers et éleveur de dromadaires, nous a inculqué, depuis notre enfance, les vraies valeurs de solidarité en veillant à partager, sous nos yeux, sa fortune avec les gens nécessiteux», exhorte M.Boughaba, un responsable à la circonscription de Rissani. Fruit d’une grande culture hospitalière de cette région du Royaume, cette solidarité est également « l’effet » incontesté de la pauvreté. « La pauvreté unit, la richesse divise», croit penser un universitaire. «Pas forcément», rétorque le «khlifa» de Rissani, lucide. «Nous sommes à proximité d’un voisin ennemi, en l’occurrence l’Algérie. En restant attaché à leur terre, malgré des conditions de vie plus que pénibles, les gens d’ici veulent montrer, à qui veut bien voir, qu’ils sont fermement attachés à leur patrie et au glorieux Trône Alaouite», explique-t-il.
Il en veut pour preuve le grand culte que la population de Rissani voue à Moulay Ali Chrif, père spirituel de la dynastie Alaouite. «Chaque année, plusieurs Marocains prennent leurs bâtons de pèlerins pour venir invoquer la baraka de ce père soufi. Que Sa Majesté le Roi Mohammed VI vienne, de temps en temps, faire la prière, notamment lors de la Nuit du Destin, atteste de l’intérêt du père fondateur de la dynastie Alaouite dont la région de Tafilalet constitue le berceau», fait-il valoir. Simplement, l’intérêt accordé à la région n’est pas à la hauteur de son importance symbolique, culturelle et cultuelle, et encore moins de sa valeur de destination touristique.
L’état du centre de Merzouga, pourtant un point de rencontre incontournable pour les amateurs de bains de sable, nationaux et étrangers compris, offre ici un exemple affligeant. Abstraction faite de quelques bureaux de change, combinés à un siège luxueux de la Gendarmerie royale, aux auberges exotiques disséminées au pied des dunes de sable ensorceleuses, des palmiers et autres arbres fruitiers, sans oublier les fabuleux contrastes lumineux au moment du coucher ou du lever du soleil, que peut-on admirer encore à Merzouga ? «Il faut l’appeler MeZrouga, non pas Merzouga», ironise, et pas vraiment à tort, un Casablancais, fou furieux de n’avoir pu trouver un seul paquet de cigarettes.
Ce visiteur visiblement désabusé a dû s’aventurer, le soir, sur les virages dangereux d’une route envahie par les dunes mouvantes en quête (désespérée) des fameuses blondes. On vous fait grâce des nombreuses tribulations pour chercher rien qu’une baguette de pain, une gorgée d’eau, à plus forte raison d’un objet en souvenir d’un voyage au bout… de l’inconnu. Sidi Ali, région frontalière avec l’Algérie, et considérée par un récent recensement du Haut commissariat au Plan, comme la commune la plus pauvre du Royaume, est complètement isolée. Dans cette zone, les 3.087 habitants vivent avec moins de 9 dirhams par jour.
Pour gagner Merzouga, il leur faut parcourir plus d’une centaine de kilomètres sur une piste rocailleuse. «Un véritable chemin de croix», reconnaît un adjudant de la Gendarmerie royale. «Pas question de se hasarder sur cette route», avertit-il. «Vous risquez également d’être pris dans une tempête de sable», prévient-il. Un avertissement confirmé par une triste nouvelle, à notre retour jeudi au centre-ville de Rissani. «Deux jeunes habitants de Sidi Ali ont été retrouvés morts après un malencontreux glissement de terrain», annonce un agent d’autorité, l’air chagrin. Mais voilà, «vivre me tue», confesse Hicham El Alaoui, ex-étudiant en Histoire Géographie. «Depuis que j’ai décroché mon diplôme d’études supérieures à l’université Moulay Ismaïl à Meknès, j’ai dû galérer pour trouver un petit boulot dans un cyber-café contre un salaire de cinq cents dirhams», se révolte-t-il. «Après de brillantes études universitaires, je suis retourné à Rissani. Mais quelle ne fut ma surprise, ma terrible surprise, de découvrir que ma ville natale a fait de grands pas en arrière.
Aujourd’hui, je suis rongé par le désespoir», constate-t-il, la voix brisée. Avant de se ressaisir : «La seule alternative qui me reste, c’est concrétiser un projet touristique, l’unique ressource de ma ville. Mais là encore, il me faut trouver un crédit. A la municipalité, on m’a demandé de déposer mon projet et attendre pendant deux longues années pour avoir une réponse. Je doute quand même que l’on donne une suite favorable à ma demande», dit-il. Comme Hicham, ce sont plusieurs universitaires diplômés à se plaindre du même sort. Leur calvaire risque de saper le moral des élèves de Rissani qui continuent, bon an mal an, de se battre pour poursuivre leurs études. Comme en témoigne cette nuée de collégiens obligés de parcourir six kilomètres par jour, à bord de leurs bicyclettes, pour prendre leurs cours dans une école située dans la commune M’daghra, à proximité d’Errachidia.
A la question «Que fait ton père ?», garçons et filles n’ont qu’une réponse à la bouche : «balaobiche», dans une référence aux outils de travail du maçon : la pelle et la bêche. Récapitulons : Sécheresse, désertification, enclavement, manque d’infrastructures touristiques, chômage… Que faut-il ajouter à ce tableau sombre ? «Malgré tout, nous restons confiants dans l’avenir du pays. Nous suivons, avec intérêt, les grands chantiers ouverts par Sa Majesté le Roi», se réjouit un jeune Rissani.

Source : M'Hamed Hamrouch | aujourdhui.ma
02/05/2006

 

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